Résidences america
2008 - Eddy L. HARRIS
Paris en noir et black
Liana Levi / www.lianalevi.fr
Mai 2009
Eddy Harris est né à Indianapolis. Poussé par son père, il fait des études dans un collège blanc catholique, premier pas vers la Stanford University. Dès son premier livre, Mississippi Solo (1988), il est salué par la critique américaine. Harlem, traduit en français aux éditions Liana Levi en 2000, dresse un portrait saisissant de cet emblématique quartier new-yorkais. Aujourd’hui, Eddy Harris a élu domicile en France, essentiellement pour des raisons politiques, culturelles et raciales.
A 22 ans, Eddy L. Harris, écrivain noir américain, choisit de s'installer à Paris. Son récit retrace les itinéraires empruntés au fil des années passées dans la capitale, décrit cette ville qui l'a adopté et inspiré. Mêlant légèreté et questions plus profondes, il interroge les raisons de l'exil, le sentiment d'appartenance, la condition des Noirs en Amérique et celle des Africains en France.
« Un texte qui, par instants, se veut joyeux jusqu'à l'insouciance avant de reprendre sa réelle gravité et donner une explication qu'il convient de méditer: "A Paris, je suis invisible - merveilleusement." » Lire
Les chroniques de Eddy L. HARRIS durant sa résidence
Chronique 1 - VF
Après les événements de 2005 on a entendu que les banlieues de Paris étaient hasardeuses. A en croire la
Chronique 2 - VF
Je fouille dans ma mémoire et je retrouve des anecdotes liées par la négritude.
Chronique 3 - VF
… il vaut mieux de rester américain, selon mes amis. Moi, par contre, je crois qu’il vaut même mieux être
Chronique 1 - VF
Après les événements de 2005 on a entendu que les banlieues de Paris étaient hasardeuses. A en croire la plupart des commentaires, on aurait plutôt pensé à une zone de guerre. En revanche, à visiter Vincennes, on pense forcément aux faubourgs de Paris – un joli mot, faubourg, et je me demande parfois combien parmi nous réfléchissent jamais au mot banlieue et à sa signification et son origine éventuelle. Banlieue. Une zone sous la protection d’une ville jusqu'à une certaine distance ? Ou un lieu banni, peut-être. Ce qui n’est pas du tout le cas de Vincennes. Moins de quatre kilomètres de place de la Nation (quatre kilomètres ; la fameuse lieue du Moyen Age), la ligne 1, le RER A, Vincennes a tous les avantages de Paris à deux pas.
Je me souviens bien de ma première visite à Vincennes il y a peut-être une quinzaines d’années. Avant, les banlieues ne se montraient pas sur mon écran radar. Maintenant je trouve cela étrange pour quelqu’un qui aime passer son temps libre à Paris et surtout pour quelqu’un comme moi qui aime voyager partout en France et qui ai visité presque chaque région et chaque petit coin, étrange de ne pas vouloir tout connaître, même les banlieues. Mais je crois que, comme la plupart des touristes, je n’ai jamais visité les banlieues parisiennes puisqu’il y avait Paris. Je n’y ai même jamais réellement pensé avant les événements de 2005. On aurait dû poser la question aux hôteliers d’EuroDisney avant le commencement de construction : pourquoi passer la nuit dans un hôtel à Marne-la-Vallée alors que tout Paris se situe à une petite trentaine de kilomètres, moins d’une heure en RER de Châtelet. Lorsqu’on a Paris à ses pieds, pourquoi se loger à Marne-la-Vallée, ou bien même pourquoi aller visiter les banlieues.
Cette optique a changé pour moi lorsque j’ai reçu une lettre d’une vielle dame, Janine L. qui habitait Vincennes et qui avait lu mon premier bouquin Mississippi Solo. Aucune idée comment ou pourquoi elle l’avait cherché ou retrouvé sauf un amour profond pour les USA et pour la langue anglaise. Elle était, en effet, professeur d’anglais et son ex-mari avait pour projet un voyage à vélo le long du fleuve Mississippi.
Elle avait trouvé Mississippi Solo extraordinaire et voulait me le dire. En même temps elle a eu envie de me montrer une traduction qu’elle avait faite d’une section de mon livre. Bizarrement, lors de mon passage suivant à Paris je suis allé lui rendre visite pour qu’elle puisse me la donner. Je dis « bizarrement » mais en fait je fais ce genre de choses tout le temps. Janine est devenue une très bonne amie.
De la ville de Vincennes, je me souviens très peu. Le château, bien évidemment. Le bois. Le RER – c’était la première fois que je l’ai jamais pris. La mairie. Et le sentiment un peu étrange d’être en même temps à Paris et dans une petite ville de province.
Ce dont je me souviens le plus c’est de la fille de Janine, qui rendait visite à sa mère en même temps que moi. Pendant les quelques jours que j’ai passés chez elles – prolongé, j’en suis certain, grâce a la présence de Geneviève – elle était mon guide, mon compagnon, et surtout ma copine de resto. C’était elle qui m’a fait découvrir la merveille qu’est le confit de canard. Un après-midi elle m’a invité à manger dans un petit bistrot pas loin de la Mairie.
Plus maintenant, mais c’était, elle m’a expliqué, un repas mangé traditionnellement en hiver. Il faut prendre la graisse de canard ou d’oie et puis faire cuire au four les cuisses dans cette graisse doucement et pendant des heures.
Je l’ai écouté et ne pouvais pas imaginer manger une telle chose -- une cuisse d’un canard ou d’une oie, qui est déjà assez grasse, et que l’on cuit dans la graisse. Mais ça, jusqu'à ce que je l’aie goûté. Pour lui faire plaisir, j’ai commandé ce qu’elle appelait une spécialité de la France d’autrefois – qu’elle aimait pourtant.
Jusqu'à ce jour-la, la cuisine française était pour moi une affaire de raffinement. Penser à la cuisine française c’était penser à la Tour d’Argent, le Grand Vefour, les restaurants étoilés. Mais effectivement la vraie cuisine française était aussi cette cuisine-la, rustique, goûteuse et très simple.
Jusqu'à ce jour-la, la cuisine française était pour moi une affaire de raffinement. Penser à la cuisine française c’était penser à la Tour d’Argent, le Grand Vefour, les restaurants étoilés. Mais effectivement la vraie cuisine française était aussi cette cuisine-la, rustique, goûteuse et très simple.
Plus tard au cours de cette même visite, j’ai eu l’occasion de voir un autre côté des banlieues. Une nuit, j’ai été arrêté par la police.
A suivre…
Chronique 2 - VF
Je fouille dans ma mémoire et je retrouve des anecdotes liées par la négritude.
Emmené par une amie à dîner chez ses voisins à elle, j’ai rencontré un grand martiniquais. Il se dit martiniquais et pas français, ce qui m’a rappelé un jeune banlieusard après les événements d’automne 2005. Celui-ci, en parlant de la police, disait effectivement : «Ils viennent ici depuis Le Raincy ou Livry, là-bas où habitent les français » Mais lui aussi était français Né en France, il a toujours habité en France. Mais à ses yeux il y avait une différence entre eux – les français – et nous – les immigrants. (J’imagine qu’il se considère comme un immigrant. Au moins, il ne se voyait pas comme un français).
Mon monsieur Martiniquais me disait quasiment la même chose, qu’il y avait une distance et une différence entre eux – les français – et nous – les antillais.
Une petite digression : récemment je suis allé passer plusieurs semaines en Guyane. Je suis parti de là-bas avec la sensation que les gens d’outremer sont très schizophrènes. Ils ne savent pas s’ils sont français ou guyanais, sud-américains ou européens, ou s’ils s’identifient selon leurs propres communautés : hmong, chinois, libanais, parmi d’autres. Cela m’a provoqué la question, qu’est-ce qu’un français ?
Apres le dîner ce soir-la, mon ami de Martinique me racontait son arrivée en France à l’âge de 11 ans. Très jeune et très vite il a senti qu’on le regardait d’un œil soupçonneux chaque fois qu’il entrait dans un magasin, chez le boulanger, dans une charcuterie.
Fan de films western de John Wayne, il décide un jour de marcher comme un cow-boy et de parler avec l’accent d’un Texan. La blague terminée il s’est aperçu tout de suite que les yeux des gens avaient changé. Il n’était plus un petit nègre martiniquais. Il était un américain. Et cela a tout changé.
Dès lors, à chaque rencontre avec les blancs, il adoptait son attitude américaine.
Et moi, qui fais tout ce que je peux pour perdre mon accent anglo-saxon lorsque je parle français Mince !
Mes amis se moquaient de moi, en disant : « Il vaut mieux que tu gardes ton accent et que tu restes au moins un peu américain On ne méprise pas les ricains.»
Encore une fois et plus loin dans la mémoire. Une nuit ou je faisais du stop au milieu de nulle part Normandie. Au milieu de nulle part, en pleine nuit, un noir dans le noir à côté de la route départementale vers Paris. Et un flic.
Il s’est arrêté, bien évidemment, et il a demandé mes papiers.
C’était mon premier contrôle. Jeune, naïf peut-être, j’ai sorti mon passeport – américain
Si – et je ne peux pas dire si c’est vrai ou non, mais s’il était moins que correct avant, il était plus que correct après qu’il a vu le passeport – américain.
Ce que je raconte dans le livre que je suis en train d’écrire, les normands ont longtemps eu une affection pour les américains, en tant que libérateurs. Peut-être cette optique existait-elle toujours. Je ne lis pas (pas souvent) les pensées des autres, et ne sais pas ce qu’il avait en tête. La guerre (quoiqu’il n’ait pas été très âgé, les histoires passent entre les générations), la richesse américaine, le pouvoir. Tout ce que je sais, c’est qu’ il a été extrêmement gentil. Même trop. Il voulait causer un bon moment, alors que je préférais continuer mon voyage à Paris. Il commençait à faire froid. Et il n’avait même pas la politesse de m’offrir de me déposer cinquante ou dix ou vingt kilomètres plus loin.
Il se peut qu’il ait été comme ça – bavard, gentil. Il se peut qu’il se soit laissé influencer par le passeport et le fait que j’étais américain. Impossible de dire. Mais plusieurs années plus tard, a Vincennes, j’ai été arrêté encore une fois par la police. Contrôle des papiers.
Fauteur de troubles ? Pas moi. Provocateur ? Possible. Ou tout simplement, américain ? Certes.
Parce que, aux USA, les flics n’ont pas le droit de demander des papiers.
Au grand carrefour où la rue de Fontenay rejoint le boulevard de la Libération et la rue du Commandant Mowat pendant que je traversais la rue, une voiture de police en civil est passée. Bien évidemment ils étaient policiers. Ca se voyait.
Au moment où ils me dépassaient, je me suis caché dans l’ombre d’un arbre. En même temps je me suis couvert la tête avec mon grand manteau. Tout de suite, la voiture a freiné, les quatre policiers ont sauté de la voiture et m’ont complètement entouré. Normal, je suppose, quand un homme se cache comme ça. Mais me faire montrer mes papiers, je ne voulais pas. D’abord je demandais les leurs, disant que n’importe quelle bande peut sauter d’une voiture et demander n’importe quoi. Il fallait me montrer qu’ils étaient la police.
Ils n’aimaient pas du tout mon attitude.
En même temps il faut dire qu’ils étaient très corrects, presque polis, vu les circonstances. Et même plus, lorsque je leur ai montré mon passeport américain et qu’ ils ont vérifié l’authenticité.
Peut-être mes amis avaient bien raison, qu’il vaut mieux rester américain.
Chronique 3 - VF
… il vaut mieux de rester américain, selon mes amis. Moi, par contre, je crois qu’il vaut même mieux être célèbre – ou bien, un peu connu. Mais pas trop. Il faut rester humble.
L’autre matin, je voulais prendre le Métro pour aller à Paris. L’automne était dans l’air et je portais un blouson et un feutre italien noir. Le soleil brillait. Je portais aussi mes lunettes de soleil. Je ne pensais pas à me cacher, même si j’ai été plusieurs fois reconnu et arrêté dans la rue – et pas par la police, pour une fois. En tout cas, en lunettes et en feutre j’étais sûr que personne ne me reconnaîtrait. Je n’y ai même pas pensé.
Lorsque je suis arrivé au métro Berault, une jolie femme – non, une délicieusement belle femme me regardait. Je la regardais aussi. Elle se tenait devant la petite sandwicherie à l’entrée de la station, comme si elle me guettait – ce qui n’était pas du tout le cas ; sûrement elle attendait quelqu’un d’autre. Mais elle m’avait vu de loin et à mon approche, elle commençait à venir vers moi.
Moi aussi, je l’avais vue de loin et ne pouvais pas m’empêcher de la fixer du regard bêtement. Je lui souriais. Rien que cela. Pas un mot, pas un geste. Juste un petit sourire.
J’étais sur le point de descendre l’escalier quand elle a retourné mon sourire. Deux secondes d’extase qui n’a pas duré. Je croyais qu’elle voyait un beau mec de la même façon que je regardais une belle fille. Mais non !
« Eddy Harris, » elle m’a dit. Ce n’était pas une question mais un constat. Elle savait qui j’étais.
Zut ! Je me suis dit que je devais la connaître aussi, une personne que j’ai rencontrée dans la rue, après un de mes débats pendant Festival America, peut-être une enseignante à une école ou je suis intervenu.
L’extase s’est fondue.
Elle avait un livre à la main – mon livre -- Harlem. Elle était en train de le lire quand elle m’a vu. Elle voulait une petite signature.
Mince, alors ! Que ça ? Qui est déjà pas mal, mais bon.
« Ce que vous écrivez me touche, vraiment, » elle m’a dit.
Et elle est repartie avec le livre et la petite dédicace, disparue comme un ange dans les nuages, me laissant avec un souvenir et une question. Qui dissout, reconstitue et évolue dans plusieurs questions, et même une philosophie.
Etre célèbre, et je ne peux pas imaginer comment c’est d’être vraiment célèbre, c’est poser une question : qu’est-ce qui, en effet, lie la célébrité et la négritude et le fait être une femme, etc etc.
Je passe une personne dans la rue. Elle me regarde. Qu’est-ce qu’elle voit ?
Ici à Vincennes, il m’est arrive souvent d’être reconnu, arrêté avec une remarque : « Ah, vous êtes le/notre/cet écrivain américain. » Chouette. Une petite discussion se poursuit, toujours gentil. Des plaisanteries. On se serre la main. Et on se sépare.
Facile.
Plus souvent on me regarde comme ça, et je ne sais pas pourquoi. Est-ce que parce que on me reconnaît ? Parce qu’elle voit un beau mec qui l’intéresse ? Parce que je suis noir ?
C’est la paranoïa venant du regard de l’autre.
Pis ! Ce qui m’arrive dans la vie – quotidien ou plus grand, dans ma carrière, dans des confrontations avec la police, pour le bon tant que pour le mauvais -- est-ce que cela m’arrive parce que je suis une chose ou une autre ? Le doute est un des éléments du racisme les plus pernicieux. Et moi je ne peux pas vivre comme ça. Je refuse !
J’entre dans une boutique, la personne derrière le comptoir est soit plaisante, soit pas. Mais je ne peux pas attribuer son attitude et ses réactions à la couleur de ma peau.
Dans ce monde il y des cons et des non-cons. Je leur permets leurs réactions. Je leur permets de voir devant eux l’homme formidable que je suis ou ce que je représente ou toute autre chose. Et je ne me questionne pas – sauf dans mes écrits et ma vie professionnelle où je questionne tout.
Faire autrement est porter depuis toujours et pour toujours un fardeau fort de l’histoire, qui effacerait mon sourire et qui est trop pesant pour le petit homme que je suis. Et je préfère le sourire.