Résidences america
2009 - Charles D'AMBROSIO
Le musée des poissons morts [The dead fish museum]
Albin Michel / www.albin-michel.fr
Mai 2007
Traduit par France Camus-Pichon
Originaire de Seattle, Charles D’Ambrosio est considéré comme un maître de la nouvelle. Ses textes ont été publiés dans de nombreuses revues littéraires. Il vit à Portland et enseigne dans de grandes universités américaines.
Le musée des poissons morts a été unanimement salué par la presse américaine. Ce recueil de nouvelles évoque les relations complexes entre les humains à travers des fragments de vies. Les personnages sont confrontés à la noirceur de leur existence : que ce soit de douloureuses révélations familiales, la manipulation d’autrui pour faire prospérer sa petite entreprise, le désespoir d’un amour autodestructif, la maladie comme la schizophrénie, le souvenir d’un viol, ou le tournage d’un film pornographique.
« Les mots, chez D’Ambrosio, ne changent pas le monde, ils le montrent tel qu’il est, cruel, injuste, traversé parfois d’éclairs de beauté et de bonté. Cette poésie des ténèbres qui ne dit pas son nom marque le lecteur et, souvent, lui brise le cœur » Le Figaro
Les chroniques de Charles D'AMBROSIO durant sa résidence
Chronique 1 - VF
Avant que je parte de chez moi il y a quelques semaines, je n’avais jamais eu de vraie valise. J’ai voyagé, mais toujours avec une certaine réticence
Chronique 1 - VO
Before leaving home several weeks ago, I had never owned a proper suitcase. I’ve traveled, but always rather reluctantly for work or under rough conditions
Chronique 2 - VF
Allez savoir pourquoi, je suis resté fasciné devant les cageots de bois qu’on utilise pour transporter les fruits et les légumes à Vincennes. On n’en voit plus
Chronique 2 - VO
For no apparent reason I found myself fascinated by the wooden boxes used to pack fruits and vegetables in Vincennes. You no longer see those boxes in
Chronique 3 - VF
Tu étais assise au premier rang et tu m’as demandé quel avait été le jour le plus triste de ma vie. Je n’ai pas su comment te répondre. Comme la plupart des
Chronique 3 - VO
You sat in the front row and you asked me about the saddest day in my life and I wasn’t sure how to answer. Like most adults who aim for honesty I see the
Chronique 4 - VF
Notre groupe d’écriture vincennois s’est réuni pour la dernière fois, et cela m’a fait réfléchir à ce que
Chronique 4 - VO
Our Vincennes Writing group met for the last time and that got me thinking about the value of groups.
Chronique 1 - VF - Valise
Avant que je parte de chez moi il y a quelques semaines, je n’avais jamais eu de vraie valise. J’ai voyagé, mais toujours avec une certaine réticence, pour le travail, ou alors dans des conditions difficiles, où la dureté même était tout le but de l’aventure. Chez moi, à Portland, dans l’Oregon, ma cave est un musée encombré de toutes sortes de bagages spécialisés, depuis les sacs à dos jusqu’aux sacs polochons en toile en passant par une malle de paquebot, héritée d’un oncle, il y a longtemps. Au début de mes préparatifs pour mon séjour à Vincennes, je les ai envisagés, les uns après les autres, mais aucun ne semblait convenir vraiment aux circonstances. Le fait que je n’aie jamais eu de vraie valise est un indice du genre de vêtements que je porte – jeans, T-shirts, tennis ou boots – et aussi de ce à quoi on s’attend quand j’arrive à destination. C’est peut-être différent en France, mais en Amérique, personne ne s’attend à ce que l’écrivain soit l’homme le mieux habillé de la pièce. On trouve déjà bien beau qu’il soit là.
Je ne savais même pas vraiment où acheter une valise. J’ai d’abord été dans des magasins d’occasions, chez l’Emmaüs américain, et à l’Armée du Salut, mais les valises empilées au hasard des étagères étaient si pourries et si peu solides, si rompues et si tristes, que j’ai pensé que j’allais jeter un sort sur tout mon séjour en France, à importer les espoirs fanés d’autres gens, à faire passer la douane à tout un chargement de déceptions passées comme à un microbe. En désespoir de cause, j’ai appelé une amie, en menaçant de fourrer mes T-shirts, mes chaussettes et mes sous-vêtements dans un terne sac de marin kaki et qu’on n’en parle plus. Il avait appartenu à mon frère à l’époque où il était chez les Marines, et l’avantage de ce vilain sac, c’est qu’il est si grand que je pourrais y entasser en gros tout ce que je possède. Mon amie a répondu que ce ne serait pas très sage de l’emporter- elle a carrément dit « ne sois pas idiot ! » - et a suggéré que je me déplace jusqu’au centre commercial. En Amérique, le centre commercial, c’est la réponse magique à toutes sortes de désespoirs. Et cela relève presque de la conviction religieuse que de dire qu’on trouve tout au centre commercial, ce qui, j’en suis sûr, explique ces hordes d’individus désemparés qui déambulent, perdus et solitaires et passent la journée dans ces lieux sans espoir.
Il est peut-être temps de signaler que je déteste le shopping et que je suis parti en quête d’une valise neuve au dernier moment, la veille de mon départ. Deux semaines plus tôt, j’avais empaqueté mon vélo dans un grand carton, et avec cette corvée rayée de la liste, j’avais l’impression que la tâche la plus importante de mon voyage était accomplie. Après ça, j’ai traîné, je n’ai rien fait au fur et à mesure que le nombre de jours s’amenuisait, à part laver, plier et empiler mes vêtements ; je les avais plaçés en jolies piles sur le lit, jusqu’à ce que la panique me prenne. C’est mon beau-père, ingénieur chimiste, qui m’a remis sur le droit chemin lorsque je lui ai passé un coup de fil depuis le centre commercial. Il m’a expliqué que je commettais une erreur courante, qui consistait à penser que puisque je partais pour longtemps, j’aurais besoin d’une immense valise. Au contraire. Plus le séjour durait longtemps, plus la valise pouvait être petite, puisque je pourrais laver mes vêtements, m’acheter ce dont j’aurais besoin, et d’une manière générale vivre comme à la maison. N’oublie pas ça, m’a-t-il dit, n’oublie pas de vivre !
J’ai trouvé une petite valise, raisonnable, et cet espace modeste a transformé la préparation des bagages en plaisir inattendu. J’ai tapissé le fond de livres, puis ai disposé mes T-shirts, mes pantalons et un manteau bien pliés par-dessus. Dans les pochettes tout autour, j’ai rangé les cartouches d’encre de mon stylo-plume préféré, et plusieurs petits blocs-notes, un pour chaque mois de mon séjour à Vincennes. J’ai emporté mon vélo, bien sûr, et une vieille machine à écrire ainsi qu’un ordinateur portable dans mon bon vieux sac à dos qui me suit depuis des jours et des jours. C’était un exercice intéressant, de réduire ma vie aux dimensions d’une valise, de façon à découvrir la valeur des choses. Je n’aime pas être mal à l’aise, ou mettre les autres dans l’embarras, ce qui rendait indispensable la valise, ne serait-ce que parce que je serais peut-être amené à porter une belle chemise et une cravate, mais à part ça, les seules choses qui comptaient vraiment étaient mes instruments de travail, qui après tout sont très simples. En un rien de temps, m’a-t-il semblé, j’étais arrivé, et pour mon tout premier après-midi à Vincennes, avant même d’avoir débarrassé ma valise, j’ai fait une promenade jusqu’à une petite place près de mon appartement, rue de la Jarry, et je me suis assis sur un banc au soleil. Il y avait des roses jaunes et rouges en pleine floraison contre un mur, les pierres dégageaient une agréable chaleur, et une dame âgée se réchauffait les os, assise à côté de moi.
Chronique 1 - VO - Suitcase
Before leaving home several weeks ago, I had never owned a proper suitcase. I’ve traveled, but always rather reluctantly for work or under rough conditions where the hard-going was the whole point of the adventure. At home, in Portland, Oregon, my basement is a museum cluttered with every kind of specialized baggage, from backpacks to canvass duffles to an old steamer trunk I inherited long ago from an uncle, and in preparing for my stay in Vincennes I considered each, but none seemed quite appropriate for the situation. That I’ve never owned a real suitcase tells you something about the kinds of clothes I wear –t-shirts and jeans, tennis shoes and boots—and what has been expected of me when I arrive at my destination. While it may be different in France, in America no one expects the writer to be the best dressed man in the room. That he shows up at all is more the surprise.
I wasn’t even sure where to purchase a suitcase. First I went to second-hand stores, to the Goodwill and The Salvation Army, but the suitcases piled on their haphazard shelves were so rotten and flimsy, so broken and sad, that I felt I might be jinxing my whole sojourn in France by importing the faded hopes of other people, carrying a load of past disappointments through customs like a germ. In a fit of despair I called a friend and threatened to stuff my t-shirts and socks and underwear in an olive drab duffle bag and be done with it. The duffle belonged to my brother, back when he was in the Marine Corps, and the advantage of that ugly bag is that it’s so big just about everything I own can be stuffed into it. My friend suggested that it would be unwise to bring the bag–she actually said: “Don’t be stupid!”—and that I should make a trip to the shopping mall. In America, the shopping mall is the magical answer to every manner of despair. It’s nearly a matter of faith, that there’s nothing that can’t be found in the mall, which I’m sure explains the bewildered hordes of lost and lonely stragglers who spend their days in these desperate places.
Perhaps now is the time to mention that I dislike shopping and that I was searching for a new suitcase at the last possible moment, the day before my departure. Two weeks earlier I had boxed up my bike, and with that chore crossed off the list, I felt as if the most important task of the trip were completed. After that, I slacked off, did nothing as the days dwindled down, except to wash and fold and stack my clothes, staging them in piles on the bed, until panic set in. It was my stepfather, a chemical engineer, who set me right, when I called him from the mall. He told me that I was making a common mistake, to think that because I’d be gone for a long time that this also meant that I would need a huge suitcase, when in fact the opposite was true. The longer the trip, the smaller the suitcase, he said, because I would be able to wash clothes, purchase necessary items and, in general, live as I would at home. Don’t forget that, he said –don’t forget to live!
I found a small, reasonable suitcase and the modesty of the space made packing an unexpected pleasure. I lined the bottom with books, and then arranged my neatly folded shirts, trousers and a suit coat on top. In the tiny pockets along the perimeter I stowed ink cartridges for my favorite fountain pen and several small notebooks, one for each month of my stay in Vincennes. I brought my bike, of course, and carried an old manual typewriter and a laptop in a trusty rucksack that has seen me through thousands of days. It was an interesting exercise, to reduce my life to the dimensions of a suitcase, in order to discover value. I don’t like to embarrass myself or others, which made the suitcase a necessity, if only because a nice shirt and tie might be necessary, but beyond that all that really mattered were the tools of my trade, which are, after all, very simple. In no time, it seemed, I had arrived, and my very first afternoon in Vincennes, even before I unpacked, I walked to a small square near my apartment on Rue de la Jarry and sat on a bench in the sun. Yellow and red roses bloomed against a wall, and the stones held a lovely heat, and an elderly woman warmed her bones on the seat beside me.
Chronique 2 - VF - CAGEOTS
Allez savoir pourquoi, je suis resté fasciné devant les cageots de bois qu’on utilise pour transporter les fruits et les légumes à Vincennes. On n’en voit plus en Amérique : le carton a depuis longtemps remplacé les lattes de pin, et pourtant, autrefois, nous transportions aussi nos produits frais dans de solides caisses de bois. Je me souviens avoir vu des piles de ces cageots, quand j’étais petit, dans la chaleur de l’été, sur le bord de la route, sous l’auvent poussiéreux d’étals de fruits, mais ils représentaient déjà quelque chose de disparu, quelque chose de rural et de fruste, qui donc gênait et allait s’effaçant dans ce passé de l’Amérique que nous refusons toujours. A la fin, ces caisses n’ont plus du tout servi à l’agriculture, mais pendant un temps, elles furent recherchées parce qu’il se trouvait qu’elles avaient exactement la bonne taille pour y classer des disques. Mes amis et moi les renversions sur le côté, et nous obtenions un rangement instantané. Chaque caisse contenait environ 70 albums, et au fur et à mesure que grandissait la collection, on rajoutait des caisses. Elles s’empilaient facilement, et si on comptait le nombre de caisses, on pouvait évaluer la richesse, et mesurer le goût de n’importe quel adolescent, comme si chaque caisse de musique était un lingot d’or.
Les disques ont été remplacés par des CDs ; eux-mêmes sont aujourd’hui supplantés par le tout numérique, et une grande partie des produits que nous consommons en Amérique vient de loin : nos pommes de Nouvelle Zélande, nos avocats du Mexique, ce qui implique d’autres modes de transport et de stockage. On ne voit plus de « produits de la ferme » où le fermier local apportait lui-même ses produits au marché dans son camion, et à présent, une simple fraise n’arrive sur ma table à Portland qu’après une migration de près de 5000 kilomètres depuis la Floride. Mais à Vincennes, on voit encore ces cageots de bois, encore qu’ils ne soient pas tout-à-fait semblables à ceux dont j’ai le souvenir. Le bois est plus léger, ils sont plus fragiles, et les lattes sont agrafées ou tiennent par des fils de fer, alors que les nôtres étaient clouées…mais malgré tout, ils sont en bois. Quand je les vois au marché, empilés à côté des étals, j’ai comme un retour de ma cupidité de gamin, quand je croyais encore qu’une montagne de cageots signifiait richesse et bon goût. On jette toujours tant de cageots de fruits que j’ai été un peu consterné de voir à quelle vitesse ils disparaissaient après la fin du marché. Peut-être qu’on les recycle. Ou simplement qu’on les réutilise. Ce qui est clair, c’est que j’avais l’œil sur eux.
En rentrant à vélo chez moi, un soir, il y a une ou deux semaines, j’ai trouvé quelques cageots abandonnés au bord du trottoir. J’ai réussi à attacher la pile branlante sur mon porte-bagages à l’aide d’un tendeur. Mon plan était simple, j’en avais rêvé longtemps avant de tomber sur ces cageots : j’allais les déconstruire et les transformer. Je n’avais pas exprimé mon envie avec précision : elle me paraissait un peu vague et diabolique, comme si elle avait sa propre ardeur, distincte de moi. Ou, disons : j’avais l’impression d’avoir un secret, dissimulé aux yeux du monde, mais j’avais aussi l’impression que ce secret avait un secret, dissimulé à mes yeux. Je ne pouvais qu’obéir. Chez moi, j’ai immédiatement démonté un des cageots, en écartant les agrafes avec soin pour ne pas faire éclater le bois des lattes. A l’aide d’un couteau de cuisine, j’ai découpé de fins copeaux du bord de chacune des planches, et ai fini par fabriquer un assemblage en onglet grossier. C’était un travail de menuiserie très simple qui tiendrait à peu près une fois que j’aurais ajouté un point de colle sur les joints. J’ai satisfait mon peu d’habileté, et j’ai été surpris par ma capacité à résoudre les problèmes, non pas parce que j’avais du métier, mais de la confiance, de la patience, et simplement de la bonne volonté. A la fin de la nuit, j’avais fabriqué deux boîtes grossières, si ordinaires et si humbles qu’elles en tiraient un grand calme, comme si elles attendaient là sans angoisse, et pour le moment, elles me servent à ranger les bouts de bois que j’ai pris l’habitude de ramasser quand je me promène au bois de Vincennes.
Je donne peut-être l’impression d’avoir fabriqué ces boîtes pour une raison précise. Ça n’est pas le cas. Je n’avais pas d’idée derrière la tête. Je suis à Vincennes pour finir d’écrire un roman, et j’en suis à la dernière étape, au moment où c’est la forme même de l’œuvre qui importe plus que tout. Cela m’a surpris. D’habitude, j’écris et je laisse la forme d’une nouvelle, cette expression du désir de la substance, se dessiner d’elle-même, de l’intérieur, mais à présent que j’atteins le dernier stade de l’écriture d’un long ouvrage, la forme veut avoir son mot à dire, et semble faire montre d’un désir bien à elle, de se concrétiser et de laisser une impression. Dans mes moments d’oisiveté, je me surprends à jouer avec de l’argile, à tordre des fils de fer pour en faire des personnages, à malaxer de la cire pour la transformer en ménagerie d’animaux imaginaires, à fabriquer des objets de toutes sortes, au hasard, pourvu qu’émerge une forme, une marque officielle de mon énergie. Je me suis intéressé à la sculpture, art qui jusque là n’avait pas retenu mon attention. Ces quinze derniers jours, je suis allé trois fois visiter l’atelier de Brancusi, et je ne me lasse pas de Louise Bourgeois. Est-ce cela que ressentent les femmes enceintes ? Je pense que je sais maintenant ce qui se passe, mais cela a commencé par une vague obsession, un curieux intérêt pour des cageots en bois, et un désir confus de les reformer pour mes besoins. Je me prépare à une apparition, cette chose mystérieuse dont le visage aimant est en moi en secret depuis si longtemps, et j’espère que je la reconnaîtrai quand elle viendra.
Chronique 2 - VO - BOXES
For no apparent reason I found myself fascinated by the wooden boxes used to pack fruits and vegetables in Vincennes. You no longer see those boxes in America, where cardboard long ago replaced pine slats, although there was a time when our produce, too, would have been brought to market in stout wooden crates. As a child I remember seeing stacks of those boxes in the heat of summer, by the side of the road, under the dusty awning of fruit stands, but already they represented something gone, something rural and crude and hence embarrassing that was fading into America’s always unwanted past. Eventually those crates stopped having any agricultural purpose and for a while were prized because they happened to be the perfect size for organizing record albums. My friends and I would tip them on their sides for instant shelving. Each box held roughly 70 albums, and as your collection grew, you added more. They stacked well, and by counting up the crates you could estimate the wealth and measure the taste of any teenage boy, as if each crate of music were an ingot of gold.
Records were replaced by disks, and disks themselves have now been superseded by digitized bytes, and much of the produce we eat in America comes from far away, our apples from New Zealand, our avocados from Mexico, requiring other means of shipping and storage. “Truck farms,” in which the farmer himself brings his own produce to market, are no longer common, and now even a simple strawberry makes it to my table in Portland only after migrating 3000 miles from Florida. But in Vincennes, there are still those wooden boxes, although not quite like the ones I remember. The wood is lighter and flimsier and the slats are held in place, not by nails, but by staples and wire --but they are made of wood, nevertheless. When I see them stacked beside the stalls on market day some of my old boyish avarice comes back, still believing that a mountain of boxes means wealth and taste. There are always so many of the discarded fruit crates that I’ve been a little dismayed to note how quickly they vanish after the market closes. Perhaps they’re recycled. Or simply reused. Obviously, I’ve been eyeing them.
Riding home one night a week or two ago, I found a couple of the boxes abandoned by the curb. I managed to lash the rickety stack to my bike rack with a bungee chord. My plan was simple, one I’d daydreamed into being long before I found these boxes: I would deconstruct and reconfigure them. My urge wasn’t particularly articulate –the urge felt somewhat vague and demonic, as if it had an ardor all its own, separate from me. Or put it this way: I felt that I had a secret, hidden from the world, but I also felt that the secret had a secret too, hidden from me. All I could do was obey. At home, I immediately began taking one of the boxes apart, prying at the staples with care so that I wouldn’t split the wooden slats. With a kitchen knife, I shaved thin slices from the edge of each board and came up with a crude miter, a simple form of joinery that would hold well enough after I ran a bead of glue along the seams. I indulged my lack of skill, and was surprised by my ability to solve problems, not through craftsmanship, but by way of trust and patience and a simple willingness. When the night was over I had crafted two rough boxes, so plain and humble they acquired a calm, as if waiting without anxiety, and for the time being I’ve used them to store the sticks I have a habit of gathering on walks in the Bois de Vincennes.
That may sound as if I’d made these wooden boxes with a purpose in mind, and I did not. I had no idea. I’m in Vincennes to complete a novel, and I’m the final stages, where the shape of the work itself matters more than ever. I’ve been surprised by this development. Most of the time, I write and let the shape of a story evolve from within, an expression of the material’s desire, but now, in the last phases of a long work, shape itself wants its say, and seems to exhibit a desire all its own, wanting to find form and leave an impression. In my idle moments, I find myself playing with clay, or bending bits of wire into silhouette figures, or molding candlewax into a menagerie of imagined beasts, making objects of all kinds, indiscriminately, as long as they leave a shape behind, some formal record of my nervous energy. I’ve taken an interest in sculpture, an art that had never held my interest. In the past two weeks, I’ve visited Brancusi’s atelier three times, and I can’t get enough of Louise Bourgeois. Is this what pregnant women feel? I think I know what’s happening now, but it began with a mild obsession, a strange interest in wooden boxes, and an inarticulate desire to reshape them for my own purposes. I’m readying myself for an appearance, this mysterious thing whose loving face has so long remained a secret inside me, and that I hope to recognize when it does arrive.
Chronique 3 - VF - A la jeune fille du Collège Françoise Giroux qui m’a posé une question sur la tristesse
Tu étais assise au premier rang et tu m’as demandé quel avait été le jour le plus triste de ma vie. Je n’ai pas su comment te répondre. Comme la plupart des adultes qui cherchent à être honnêtes, pour moi, ce que vise la réponse à une question, c’est la vérité, mais je n’étais pas sûr que la vérité importait ce matin là, entouré que j’étais de soixante ou soixante-dix de tes camarades de classe ; un grand nombre d’entre eux avait préparé ma visite en proposant des questions dont la réponse était beaucoup plus facile que la tienne, qui était une très bonne question, je tiens à ce que tu le saches, mais à laquelle il est très difficile de répondre avec vérité. Je dois aussi reconnaître que j’étais dans la confusion, dans l’hésitation. Je ne suis pas menteur, bien sûr, mais j’ai du mal, parfois, à bien situer la vérité. Elle est mouvante. Elle est changeante. Un jour, elle est ta meilleure amie, le lendemain, elle ne t’adresse même pas la parole. Ce matin là, la vérité était fatiguée et timide.
Quand je suis venu dans ta classe, c’était tôt pour moi, j’étais mal réveillé, et quand j’ai sommeil et que c’est le matin, j’ai tendance à être triste, surtout si je n’ai pas bu ma tasse de café, et que je n’ai pas pris une heure, à peu près, pour gribouiller dans mon carnet de notes. C’est ce que j’aime faire, le matin, avant toute chose. Je me réveille, je bois une tasse de café, et j’écris dans un carnet. La plume, le papier et une heure de silence sacré, tout ça pris ensemble, pour moi, c’est un peu comme une prière, encore que je ne demande rien, et que je n’attende aucune réponse. Les grandes passions jaillissent souvent des sensations les plus simples, et mon amour des petits carnets vient sans doute du bruit que fait la fine plume de mon stylo quand elle crisse sur le papier. Je suis amoureux de cette musique légère. Pour moi, une ligne d’encre bleue sur une page, c’est comme un souffle. Dans mes carnets, j’écris sur les choses ordinaires pour les voir clairement, et pour que, remises à l’échelle, je les apprécie comme autant de miracles. Je prends aussi les grands évènements étonnants qui m’arrivent, et je les rends ordinaires. J’essaie de trouver une place pour chaque chose, c’est ce qu’on appelle la perspective, et cela inclut ces mystères qu’on ne sait pas où caser, et aussi ces questions difficiles, qui dérangent, comme la tienne, et qui resteront sans réponse, à jamais.
Mais après n’avoir pas eu de réponse pour toi, j’ai quitté ton collège avec une sensation lancinante : ce sentiment que tu méritais mieux venant de moi. Alors, comme le font souvent les écrivains, je vais revenir sur le passé, et revivre cet instant, maintenant, sur le papier : ce matin là, dans la grande salle, et ta bonne question, et je vais te répondre aussi directement que je le peux : le jour le plus triste de ma vie, c’est le jour où mon petit frère est mort. Il s’appelait Danny, et il était jeune quand il est mort, et ça, c’est toujours tragique et pas dans l’ordre de nature. Mais ce n’est pas ça qui m’a rendu si triste. C’est juste qu’il me manquait. Il avait de longs cheveux noirs, il composait de la musique et jouait de la guitare, il adorait le foot et n’arrêtait pas de me piquer mes livres – ce que j’admirais en secret, parce qu’il les lisait ! Je ferais une petite remarque sur la mort, c’est que très vite, les gens arrêtent de prononcer tout haut le nom de la personne qui est morte. C’est comme si un jour la Tour Eiffel disparaissait mais que plus personne, dans la France entière, ne parlait d’elle. C’est étrange. Un silence s’installe dans toutes les conversations et on ne comprend pas pourquoi. C’était bizarre de vivre dans un monde où plus personne ne disait le nom de mon frère. Danny me manquait et je ne pouvais rien faire pour changer le cours de l’histoire et le ramener. J’étais impuissant. J’avais l’impression de ne pas avoir de mots, pas même son nom.
Tu as eu une intuition très intéressante et très juste, et plus que tout, je veux que tu saches à quel point ce que tu pensais était intéressant et juste, quand tu as poursuivi ta question en disant que d’après toi, les écrivains étaient parfois des gens tristes. Beaucoup de gens ont des blessures, et parmi eux, les écrivains, mais je dirais aussi que souvent nous souffrons, puis les blessures guérissent d’une façon qui nous donne une force nouvelle. Quand Danny est mort, je n’ai pas réussi à trouver des réponses à mes questions, ni à apaiser ma tristesse, et j’ai commencé à écrire dans des carnets, à fabriquer mes propres réponses. J’ai écrit tous les jours. J’écrivais au restaurant, dans les parcs publics, dans l’autobus, dans ma chambre, la nuit. Je n’allais nulle part sans mon carnet et bientôt j’ai eu l’impression d’être tout nu si je quittais la maison sans avoir un stylo dans ma poche. Danny me manque toujours, et j’écris toujours dans des carnets, mais à présent, quelque chose d’extraordinaire s’est construit autour de moi, cette vie qui est la mienne est remplie de mots et de gens qui les aiment autant que moi. C’est mystérieux et beau à la fois. C’est cela qui m’a amené à Vincennes ! Et tout cela est né d’un mot, le nom de mon frère, qui a soudain disparu… c’est-à-dire, jusqu’à ce que tu poses ta merveilleuse question, et que tu me donnes cette occasion, cette deuxième chance de dire son nom tout haut.
Merci !
Chronique 3 - VO - To The Young Girl at Collège Françoise Giroux Who Asked Me About Sadness
You sat in the front row and you asked me about the saddest day in my life and I wasn’t sure how to answer. Like most adults who aim for honesty I see the truth as the target of any question, but I wasn’t sure if the truth mattered that morning, surrounded by sixty or seventy of your classmates, many of whom had prepared for my visit with questions that would be far easier to answer than yours, which was a very good question, I want you to know, but also a very difficult one to address truthfully. Now I want to admit that I was confused, I was unsure. I’m not a liar, of course, but I do have trouble, now and then, locating the truth. It moves around. It changes shape. It is your best friend one day and then the very next day it won’t even talk to you. That morning, the truth was tired and shy.
When I visited your class it was early for me, and I was somewhat sleepy, and whenever I’m sleepy and it’s morning, I’m prone to sadness, particularly if I haven’t had my cup of coffee and taken an hour or so to scribble in my notebook. That’s what I like to do, everyday, before anything else. I wake, I drink one cup of coffee, and I write in a notebook. Pen and paper and an hour of holy silence, taken together they’re kind of like praying to me, though I don’t ask for anything and I don’t expect to be answered. Great passions very often rise out of the simplest sensations, and my love of notebooks probably springs from the sound the sharp nib of my pen makes as it scratches across the paper. I’m in love with that faint music. To me, a line of blue ink on a piece of paper is like a breath. In my notebooks, I write about small ordinary things so that they are seen clearly and, set to scale, appreciated as miracles; and I also take the very large and strange things in my life and make them ordinary. I try to find a place for everything, which is called perspective, including those mysteries that have no place, as well as those hard, confusing questions, like yours, that will go unanswered forever.
But when I had no answer for you, I left your school with a nagging feeling, a sense that you deserved better from me. So, as writers often do, I’ll return to the past and relive that moment now, returning, on paper, to that morning and the classroom and your good question, and I’ll answer you as directly as I can: the saddest day of my life was the day my little brother died. His name was Danny, and he was young when he died, and that always feels tragic and unnatural. But that isn’t what made me so sad. I just missed him. He had long black hair, wrote music and played the guitar, loved soccer, and would never stop stealing my books –which I secretly admired, because he read them! One small observation I would make about death is that very soon people stop mentioning the name of the dead person out loud. It’s as if one day the Eiffel Tower disappeared but no one in all of France mentioned it. It feels weird. A silence gathers inside every conversation and you can’t figure out why. It was strange to live in a world where no one would speak my brother’s name anymore. I missed Danny and there was nothing I could do to change history and bring him back. I felt powerless. I felt like I had no words, not even his name.
You had a very interesting and true intuition –and more than anything, I want you to know how interesting and true your feelings were—when you followed up your question by saying that you thought writers were sometimes sad people. Many people have suffered wounds, writers among them, but I would also offer this, that often we suffer and the wounds heal in ways that bring new strength. When Danny died, I couldn’t find answers to my questions or put to rest my sadness, and I started writing in notebooks, making my own answers. I wrote every day. I wrote in restaurants, in city parks, on buses, in my room at night. I never went anywhere without my notebook and soon came to feel naked if I left the house without a pen in my pocket. I still miss Danny, and I’m still sad, and I still write in notebooks, but now something extraordinary has built up around me, this life I live filled with words and people who love them as much as I do. It’s mysterious and beautiful. It brought me to Vincennes! All of it rising out of one word, my brother’s name, that suddenly disappeared --that is, until you asked your wonderful question, and gave me the opportunity, the second chance, to say his name out loud
Thank you!
Chronique 4 - VF
Notre groupe d’écriture vincennois s’est réuni pour la dernière fois, et cela m’a fait réfléchir à ce que représente un groupe.
Pour moi, découvrir les livres, cela a été découvrir un groupe. Une tribu. Avant, il y avait ma famille ; elle était vaste et formait une sorte de tribu, mais c’était une bande plutôt solitaire, et brisée, et je savais qu’il me fallait autre chose. En fait, je n’arrivais pas à trouver comment quitter ma famille, or dès l’âge de seize ou dix-sept ans, j’ai compris qu’effectivement, je devais les quitter, que je le veuille ou non, mais pour aller où ? Je me suis retrouvé à fureter dans des livres, à la recherche d’une réponse, et c’est au travers des livres que j’ai découvert deux, trois autres personnes qui avaient aussi lu un peu, qui trouvaient une nécessité impérieuse à la chose écrite - roman, nouvelle, essai - et qui éprouvaient le besoin d’en parler. Cela m’a complètement abasourdi, ne serait-ce qu’à cause du fait que la lecture me semblait une activité personnelle, intime, isolante. En réalité, je soupçonnais en secret que mon intérêt pour les livres était une forme d’échec. Etre si jeune et si renfermé ? Cela ne paraissait pas une manière bien vigoureuse d’affronter le monde.
Et pourtant la lecture, cette activité solitaire entre toutes, remplissait une fonction sociale énorme. A l’époque, je ne comprenais pas tout-à-fait ce fonctionnement, et j’allais de l’avant, à l’aveugle, de librairie en librairie, je lisais romans et nouvelles sans ligne directrice et de temps en temps, je rencontrais des gens. Je ne savais pas vraiment que j’allais me mettre à écrire, et le fait de lire ne faisait pas partie d’un grand dessein, d’une destinée que j’imaginais être la mienne. Je voulais tout simplement parler des choses dont on peut parler quand on lit. La lecture est devenue mon quartier, dans un sens, et là, je passais mon temps à rencontrer des gens : « vous habitez dans le quartier, vous aussi ? » je rencontrais quelqu’un, on bavardait, on se trouvait les mêmes connaissances imaginaires : Jay Gatsby, par exemple, Billy Pilgrim, Nick Adams ou Huck Finn (NdT) ; où bien on avait voyagé dans les mêmes lieux de romans, au Montana, dans le Mississippi, dans la Péninsule Nord du Michigan… Au bout d’un moment, à travers les livres, on découvre qu’on partage des souvenirs, des expériences, des histoires avec de parfaits étrangers !
La lecture m’a fait voyager dans beaucoup d’endroits, certains réels, la plupart imaginaires, mais elle m’a toujours ramené à cette chose qu’elle était censée remplacer, un sens d’où était chez moi, une identité tribale, une façon nuancée d’appréhender ceux qui m’étaient proches, où que ce soit que je les rencontre. Non pas que ça se soit passé dans des lieux très reluisants : je les trouvais dans des écoles, des bars, des soirées, dans ces drôles de petits cafés qui commençaient à fleurir partout à Seattle. J’ai entendu tout un tas de poèmes effroyables à un endroit qui s’appelait Penny University où la moitié des lecteurs étaient des fous qui n’avaient nulle part ailleurs où aller. Les nuits « micro ouvert », nombre de poètes se levaient, sortaient de leurs poches des serviettes en papier usagées et récitaient des chapelets de mots complètement détachés de tout sens, et souvent aussi de toute syntaxe. Mais je restais toujours jusqu’au bout, et effectivement, il arrivait que les seules personnes encore présentes dans le café, à la fermeture, au bout de la nuit, ce soit moi et quelque dingue avec des paquets de serviettes en papier gribouillées. Mais tant qu’il y avait quelqu’un qui parlait, il y avait quelqu’un pour écouter. C’était une communauté.
Pour finir, j’ai dû trouver un moyen de perdurer dans ce monde pour toujours, et c’est alors que je me suis mis à écrire. Au contraire de nombre de mes contemporains, je crois au pouvoir du moment de révélation, et à son rôle dans la nouvelle : une soudaine présence, une manifestation de ce qui était caché jusqu’alors. D’une manière très réelle, cette révélation marque le plus grand voyage de l’œuvre : un voyage qui mène d’une vague note, d’une humeur mal définie, d’un souvenir agité, ou d’un espoir flou à une nouvelle accomplie, à quelque chose qui se voit, qui apparaît soudain. C’est cette chose vague, inconnue qui devient manifeste. On dirait un miracle. Et c’est quelque chose que je n’ai jamais eu besoin de mettre en doute, ce fait que lorsqu’on écrit, on essaie presque toujours d’écrire sur ce que l’on ne connaît pas. Après tout, les écrivains sont des gens pour qui écrire est difficile.
Et pourtant on s’accroche, on creuse là où on ne sait pas, là où on ne comprend pas, on creuse cette chose qui n’a pas de forme, jusqu’à ce qu’un jour elle apparaisse, aussi parfaitement formée et concrète qu’une cloche, ou qu’une pierre, et elle prend sa place dans le monde. On le sait, on le sent, on en est absolument certain, mais il manque quelque chose. Et, pour cerner la nature de ce qui manque, je voudrais partager avec vous une citation que j’aime énormément, d’un poète italien, Eugenio Montale, que je tire d’un texte qui s’intitule « La Seconde Vie de l’Art ». « Un fragment de musique, de poésie, une page, un tableau prennent vie dans l’acte de création, cependant leur vie n’est complète que lorsqu’ils circulent, et peu importe que cette circulation soit vaste ou restreinte : à proprement parler, le public peut ne consister qu’en une seule personne, pourvu que ce ne soit pas l’auteur lui-même. »
Le voyage qui m’a finalement amené à notre atelier d’écriture vincennois a été de cet ordre, une découverte de tous ces gens merveilleux, qui venaient de tous les horizons, et qui tous se sont promenés entre les rayonnages d’une librairie, pour finir par se rencontrer.
Vous êtes tous dans mon cœur.
(NdT : Héros respectivement de « Gatsby le Magnifique », de F.S. Fitzgerald, de « Abattoir 5 » de Kurt Vonnegut, de « Les Aventures de Nick Adams » d’Ernest Hemingway et de « Les Aventures de Huckleberry Finn » de Mark Twain. )
Chronique 4 - VO
Our Vincennes Writing group met for the last time and that got me thinking about the value of groups.
My discovery of books was the discovery of a group. A tribe. Prior to that I had my family, which was big and formed one kind of tribe, but it was kind of a lonely, broken gang and I knew I needed something else. In a way, I couldn’t figure out how to leave my family, but by the time I was sixteen or seventeen I understood that, like it or not, I was indeed leaving them, and where would I go? I found myself hunting around for answers in books and through books I discovered a couple of other people who had read a little and felt some urgency about novels and poems and essays and wanted to talk about them. This came as a complete surprise to me, if only because reading, as an activity, had seemed rather private and isolating. In fact, I secretly suspected that my interest in books was a form of failure. To be so young and so withdrawn? It didn’t seem like a particularly robust way to face the world.
And yet reading, that most solitary of activities, had a huge social function. At the time, I didn't fully understand how it would work, and I just kept on, blindly visiting bookstores, reading novels and stories without much guidance, and, now and then, encountering people. I didn’t really have any idea that I was going to write, and my reading wasn’t part of some grand plan, some destiny I imagined for myself. I simply wanted to talk about the things that you could talk about if you read books. Reading became my neighborhood, in a way, and I kept running into people there: “You live in this neighborhood, too?” I would meet someone, and we’d get into a conversation, and it would turn out that we knew the same imaginary people –Jay Gatsby, for instance, or Billy Pilgrim, or Nick Adams, or Huck Finn—or that we’d traveled to the same fictional places, to Montana, or Mississippi, or the Upper Peninsula of Michigan. After a while, through books, you discover that you share memories, experiences and histories with total strangers.
Reading would take me many places, some real, most imagined, but it always brought me back to the very thing it was meant to replace, a sense of home, a tribal identity, a nuanced appreciation for my people, wherever I encountered them. It wasn’t real picky. I found them in schools, in bars or at parties, in the strange little cafés that were just beginning to open all around Seattle. I heard a lot of terrible poetry at a place called Penny University, where half the readers were crazy people who had nowhere else to go. On open-mike nights many of the poets would stand up, pull a dirty napkin out of their pocket, and recite strings of words that they had written on the bus, words that were completely sprung from sense and often from syntax too. But I always sat through the whole show, and for sure, some nights, the only people still in the café at closing were me and some lunatic with wads of scribbled napkins. But as long as someone spoke, and someone else listened, it was a community.
Eventually I had to figure out how to stay in this world forever, and that’s when I started writing. Unlike many of my contemporaries, I believe in the power of the epiphany and its role in the short story: a sudden showing forth, a manifestation of what previously lay hidden. In a very real way the epiphany marks the furthest journey of the work, a journey that travels from a vague note or an obscure mood or a restless memory or a dim hope to a realized story, to something that shows, that suddenly appears. It is that vague, unknown thing made manifest. It feels like a miracle. And it is something I’ve never had to question, that in writing, almost always, you’re trying to write about what you don’t know. Writers, after all, are people for whom writing is difficult.
And yet you stick with it, pushing at what you don’t know or understand, at that thing that has no shape, until one day it appears, as perfectly formed and real as a bell or a stone, taking its place in the world. You know it, you feel it, you’re as sure as you can be, but one thing is missing. And to capture the nature of that missing quality, I would like to share with you a quote I like a lot, from the Italian poet, Eugenio Montale, taken from an essay called “The Second Life of Art:”
"A fragment of music or poetry, a page, a picture begin to live in the act of their creation but they complete their existence when they circulate, and it does not matter whether the circulation is vast or restricted; strictly speaking, the public can consist of one person, so long as that person is not the author himself."
My eventual progress to our Vincennes Workshop was like that, a discovery of all these wonderful people, from all walks of life, all of whom wandered down the aisle of a bookstore, only to find each other.
I cherish you all.