Résidences america
2013 - Wells TOWER
Notre sixième écrivain nord-américain en résidence, Wells Tower a séjourné à Vincennes de septembre à Décembre 2013.
Ecrivain américain, il est né à Vancouver et vit en Caroline du Nord. Titulaire d’un diplôme en Anthropologie et en Sociologie à l'université Wesleyan, il a parcouru les Etats-Unis, puis dans son travail de journaliste, a peaufiné son observation des américains d’en bas. Il a publié en 2009 son premier recueil de nouvelles Everything Ravaged, Everything Burned, publié en français en 2010 sous le titre Tout piller,tout brûler dans la collection Terres d’Amérique, chez Albin Michel (trad. Michel Lederer).Ce recueil évoque les oeuvres de Faulkner, d'Hemingway et de Carver.
Les chroniques de Wells Tower durant sa résidence
Chronique 1 - VF
Pas besoin de consulter un écrivain professionnel pour savoir qu’ici à Vincennes, il a plu. Les nuages chargés de pluie se sont installés au dessus de la ville et il paraît hydrologiquement invraisemblable qu’en une semaine entière d’hystérie incessante ils ne se soient pas entièrement vidés.
Chronique 1 - VO
You need not consult a professional writer to know that it has been raining here in Vincennes. The rain clouds have stalled over the city, and it seems a hydrological impossibility that in a solid week of unremitting hysterics, they have not wrung themselves out.
Chronique 2 - VF
Voilà six semaines que je séjourne à Vincennes, et je me sens envahi par un état d'esprit particulier dont j'espère qu'il existe un mot en français pour le qualifier. Ce mot, s'il existe, devrait décrire la nostalgie d'une époque récente où l'on vivait sans raison dans la confusion, l' exil volontaire et la peur.
Chronique 2 - VO
Six weeks in Vincennes and I feel myself overtaken by a specific condition of the spirit for which I hope the French have a word. This word, if it exists, would describe nostalgia for a recent time when one was needlessly living in bewilderment, self-exile and fear.
Chronique 3 - VF
Tous les deux ou trois ans, un écrivain américain spécialisé dans les arts de la table se rend en France, y remarque le nombre comparativement peu important d’obèses, et publie un livre de régime qui préconise l’usage de fromage, saucisson, pain, pâtisserie et vin au litre comme goûteuse alternative à l’intervention chirurgicale et à l’anneau gastrique.
Chronique 3 - VO
Every few years, some American food writer pays a visit to France, takes note of this nation's comparative shortage of obese people, and publishes a diet manual prescribing cheese, sausage, bread, pastries and wine by the gallon as a toothsome alternative to lap-band surgery.
Chronique 4 - VF
Les pluies d’automne ont passé, cédant les après-midis à des hordes d’enfants qui se tamponnent allègrement sur la patinoire . Le long de la rue de Fontenay, impossible d’échapper aux senteurs d’aiguilles de pin et de vin chaud.
Chronique 4 - VO
The autumn rains have retreated, ceding the afternoons to the hordes of unsteady children, happily colliding on the patinoire. Along the Rue de Fontenay, the fragrances of pine cuttings and vin chaud are impossible to escape.
Chronique 1 - VF
Pas besoin de consulter un écrivain professionnel pour savoir qu’ici à Vincennes, il a plu. Les nuages chargés de pluie se sont installés au dessus de la ville et il paraît hydrologiquement invraisemblable qu’en une semaine entière d’hystérie incessante ils ne se soient pas entièrement vidés. Mes concitoyens vincennois ont trouvé qu’il faisait un temps de chien, mais moi, cela me plaît bien. Cette année, j’ai passé trop de temps à courir d’un avion à l’autre et trop peu de temps à mon clavier. La nourriture la plus précieuse de l’écrivain est la solitude. Voilà pourquoi je suis reconnaissant de cette excuse pour m’enfermer à la maison, à passer des journées entières sans prononcer un mot à voix haute, à me repaître de cette solitude féconde.
Ceci dit, j’ai de la compagnie. Derrière mon appartement, il y a une école où d’après moi, on donne aux enfants des cours intensifs dans l’art du hurlement. A partir d’environ huit heures et demi le matin et jusqu’à la fin de l’après midi, ils s’époumonent continûment. De temps en temps, ils fatiguent et le vacarme s’atténue un moment, mais alors, un chef d’orchestre invisible agite sa baguette et les glapissements reprennent de plus belle. Je suis heureux de vivre à portée d’oreille de cette école étrange. Les cris me sont un susurrement réconfortant, comme le bruit de la mer. Cela m’inspire ; j’essaie d’apporter autant d’engagement dans mon écriture que les enfants en mettent à hurler. Quand les braillements commencent, je sais qu’il est temps que je m’installe à mon bureau.
Un samedi après midi, je me promène en direction de l’Hôtel de Ville, et sur l’esplanade, à l’arrière, encerclée de barrières métalliques, se trouve la plus jolie pelleteuse que j’ai jamais vue. Elle est d’un rouge éclatant, et ses vitres sont en verre réfléchissant. Elle a , par son côté stylé, l’air d’avoir été conçue pour servir de joyeux ornement. Une douzaine de personnes se tiennent près des barrières, et observent la machine d’un air de curiosité admirative. L’Adoration du Tracteur est apparemment un rite dominical important dans ce village, assez signifiant pour mériter que les Vincennois acceptent d’être trempés par une précoce averse automnale.
Le spectacle se fait encore plus remarquable quand apparaît dans le cercle un homme aux cheveux argentés vêtu d’une chemise blanche élégante, de gants et d’un pantalon noir. Une amie m’informe qu’il est là pour danser avec le tracteur, grâce que de toute évidence les français offrent à leurs machines à déterrer, le week-end après midi. Ce qui se produit ensuite est un spectacle d’une tendresse qui défie la mort et d’une formidable beauté. La machine soulève le danseur haut dans les airs et le brandit fièrement et amoureusement. Elle fait la coquette, et la révérence. Le tracteur effleure le crâne du danseur de sa pelle et le protège de l’averse. Nous sommes tous – enfants, adolescents, adultes à la quarantaine revenus de tout – frappés de stupeur par cette chorégraphie. Je trouve cela touchant et révélateur de me tenir au milieu de gens qui considèrent que se mouiller les pieds n’est pas cher payer pour quelques dizaines de minutes d’étrangeté étonnante.
Bon, si vous avez rencontré beaucoup d’américains en voyage en France vous avez remarqué cette habitude que nous avons de nous excuser d’être d’épouvantables philistins. Ne vous faites pas avoir. Il s’agit uniquement de vous distraire et de vous désarmer tandis que nous construisons un Mc Do sur votre pelouse. Mais je crois utile de rapporter que dans la plupart des villes américaines, si un homme se mettait à danser avec un tracteur sur un terrain municipal, il se ferait insulter par des quidams et arrêter pour corruption de la morale publique.
Non pas que dans nos Etats-Unis on n’adore pas les machines. Certaines personnes, dans l’État d’où je viens, la Caroline du Nord, viennent justement cette semaine de voter une loi qui interdit à la police de détruire les armes à feu saisies sur des criminels. Je comprends l’intention cachée derrière cette législation. Nous vivons une époque de solitude et si l’on a la chance de trouver l’amour, il s’agit de le protéger, d’éviter qu’on lui fasse du mal, même si l’objet de notre amour est un appareil qui fait des trous dans d’autres êtres humains. C’est ainsi que déjà, Vincennes me donne toutes sortes de bonnes idées pour l’amélioration du pays où je suis né. J’ai l’intention d’écrire immédiatement à mon député en suggérant un amendement à notre loi la plus récente : si quelqu’un veut sauver de la casse la Kalachnikov d’un gangster, il doit d’abord lui faire faire un petit tour de valse devant la mairie sous les yeux de ses voisins.
Chronique 1 - VO
You need not consult a professional writer to know that it has been raining here in Vincennes. The rain clouds have stalled over the city, and it seems a hydrological impossibility that in a solid week of unremitting hysterics, they have not wrung themselves out. My fellow citizens have found the weather grim, but I am very pleased with it. This year, I have been on too many planes and spent too little time at my keyboard. A writer's most precious nutrient is solitude. So I have been grateful for an excuse to shut myself indoors, passing days without uttering a word aloud, gorging myself on productive loneliness.
I do have some company. Behind my apartment is an academy where, as far as I can tell, children are given intensive instruction in the art of shrieking. From about eight-thirty in the morning until late in the afternoon, they keep up a consistent caterwauling. Every now and again, they exhaust themselves and the din flags for a moment, but then an unseen conductor waves a baton and the howling redoubles. I am glad to live within earshot of this unusual school. The screaming is a soothing susurrus, like the voice of the sea. I find it inspiring. I am trying to bring to my writing the same degree of commitment the children bring to their howling. When the shrieking starts, I know it is time for me to be at my desk.
On a Saturday afternoon, I stroll down to the Hôtel de Ville, and in the plaza behind, enclosed by a ring of metal cordons is the prettiest front-end loader that I have ever seen. It is bright red with windows of mirrored glass. It seems, in its stylishness, to have been designed for a cheerful, ornamental purpose. Some dozens of people stand at the cordons, watching the machine with a curious reverence. The Adoration of the Tractor is apparently an important Sunday rite in this village, one with sufficient meaning to the people of Vincennes to merit a drenching with early autumn rain.
The spectacle grows more remarkable with the appearance in the ring of a silver-haired man dressed in a smart white shirt, gloves and black trousers. A friend informs me that he is here to dance with the tractor, a graciousness to which the French people evidently treat their earth-moving equipment of a weekend afternoon. What then takes place is a scene of death defying tenderness and considerable beauty. The machine hoists the dancer high into the air and brandishes him in a proud and loving way. It coquettes and curtsies. The tractor nuzzles the dancer's skull with its soil bucket and shields him from the downpour. We are all of us—children, teenagers, jaded folk in our middle years—transfixed by this choreography. I find it moving and affirming to be among a people who consider wet feet a small price to pay for a few dozen minutes of strange astonishment.
Now, if you have met many Americans abroad in France you have noticed our habit of apologizing for what awful philistines we are. Do not be taken in. This is only to disarm and distract you while we build a McDonald's on your lawn. But I think it bears reporting that in most American cities, if a man were to dance with a tractor on the town commons he would be yelled at by louts and arrested for corrupting the public morals.
This is not to say that in our United States we do not adore machines. Certain people in my home state of North Carolina have just this week passed a law making it illegal for police to destroy guns seized from criminals. I understand the motive behind this legislation. Ours is a lonely age and if we are lucky enough to find love we must keep it safe from harm, even if the thing we love is a device for making holes in other human beings. So already, Vincennes is giving me all sorts of good ideas for the improvement of my motherland. I intend to write immediately to my home-district representative proposing an amendment to our latest law: if someone wants to save a gangster's AK-47 from the scrapheap, he must first take it for a waltz in front of city hall with his neighbors looking on.
Chronique 2 - VF
Voilà six semaines que je séjourne à Vincennes, et je me sens envahi par un état d'esprit particulier dont j'espère qu'il existe un mot en français pour le qualifier. Ce mot, s'il existe, devrait décrire la nostalgie d'une époque récente où l'on vivait sans raison dans la confusion, l' exil volontaire et la peur. Pour moi, cela correspond au début septembre, à mon arrivée, lorsque pendant bien des jours, je n'osais quitter mon appartement. Voyez-vous, je ne suis pas de ces Américains qui, lorsqu'ils sont en France, paradent de tous côtés en criant des ordres en anglais à des serveurs ou autres interlocuteurs. Je suis ce genre d'Américains qui détale de pas de porte en pas de porte terrorisé à l'idée de se retrouver obligé de bégayer en rougissant: "je ne parle pas français."
J'imagine qu'il est chose courante parmi les visiteurs non-francophones de ces beaux rivages d'être dans un état de frustration effondrée devant sa non-francitude, mais pour ceux d'entre nous qui font métier du langage, la douleur est particulièrement aigüe: le martyre de la peur de la page blanche qui a métastasé, et infecte des activités aussi simples que celle de s'acheter une miche de pain. Cependant, je crois qu'il y a une morale à tirer du fait de se sentir inférieur à tous les citoyens du cru, et à quasiment tous les chiens du cru, lesquels ont au moins une perception instinctive du mode impératif. Mais, à mon relatif soulagement, cette terreur commence à s'éloigner. Je sors un peu plus ces jours-ci et je me recroqueville un peu moins à mon bureau. J'ai réussi à mener à bien quelques transactions simples dans votre langue élégante. Vous avez pu m'entendre, chez Picard, me vanter longuement d'avoir apporté mon propre sac à provision. Ces journées de septembre où le fait d'aller au supermarché ressemblait à une aventure risquée me manquent, mais la langue que j'entends tous les jours dans la rue continue à avoir quelque chose de magique. Je suis étonné, par exemple, qu' un enfant de quatre ans entendu entrain de débiter des nombres à sa mère dans le parc sache que 97, c'est quatre fois vingt plus dix-sept!
De plus, et fort heureusement, la forme d'aphasie dont je souffre est soignable. Trois fois par semaine, je me transporte à Paris pour mon cours de français. Ma classe réchaufferait le cœur des fondateurs des Nations Unies. Nous formons un muesli humain d'Iraniens, de Britanniques, de Turkmènes, de Turcs, de Thaïs, de Coréens, d'Allemands, de Brésiliens, de Chinois, de Mongols, d'Américains, etc. Ecouter cette tribu tenter à l'unisson de prononcer "fruits" vaut son pesant de cacahuètes. L'effet produit est celui de quatorze personnes simultanément piquées aux amygdales par des moucherons. Nos conversations sont bizarres et mystérieuses. Voici un certain nombre de remarques énigmatiques je j'ai prises en note pendant nos cours de la semaine dernière:
"En Allemagne, la tête de curé est une très bonne chose à manger."
"Quel est ce sport dans le parc où l'on lance des petits cochons?"
"Je suis ennuyeux et je veux boire du bain rouge."
A écouter assez longtemps ce genre de conversation, on perd peu à peu le sens de la réalité.
Le week-end dernier, des amis français, inquiets de mon état mental, m'ont invité à quitter quelques jours le travail et l'étude pour aller faire du vélo sur les bords de Loire. Nous partîmes de Tours le samedi matin. La piste cyclable, hors saison, était dépourvue de touristes et d'insectes, sauf un moucheron automnal solitaire qui, à la recherche de compagnie, me vola droit dans la gorge. Je lui en fus reconnaissant. J'ai passé un moment à pédaler fièrement, tout en prononçant "fruits" à la perfection.
Le temps sur la Loire fut l'opposé du miracle. Arrivés à Tours sous un ciel bleu resplendissant, nous montâmes en selle, et aussitôt, les cieux s'entrouvrirent et un nuage d'orage nous poursuivit tel un projecteur jusqu'à Chaumont-sur-Loire. Par plaisanterie, je crois, mes amis m'avaient dit de ne pas prendre d'imperméable, qu'on m'en fournirait un. Ce qu'on me donna était un manteau pour dame, rose et à la coupe seyante. Ils m'avaient aussi dit de n'apporter qu'un pantalon, une autre plaisanterie. Mon jean fut trempé dès les dix première minutes de notre balade.
Malgré ma crainte d'aller contre les bonnes manières françaises, je n'eus d'autre choix, le deuxième jour, que de pédaler en pyjama. Il est bleu vif, et, avec l'imperméable rose, l'effet était osé. Plusieurs pécheurs, au bord de l'eau, me jetèrent un coup d'œil effaré, comme s'ils avaient trouvé un flamand rose barbu au bout de leur ligne. Mes amis s'esclaffaient, et en parlant aux pécheurs, m'apprirent une nouvelle expression. Je ne suis pas tout à fait sûr de ce qu'elle veut dire, mais je crois que les mots qu'il utilisaient étaient: "il n'est pas sortable".
Chronique 2 - VO
Six weeks in Vincennes and I feel myself overtaken by a specific condition of the spirit for which I hope the French have a word. This word, if it exists, would describe nostalgia for a recent time when one was needlessly living in bewilderment, self-exile and fear. For me, this was early September, when I first arrived, and for many days, did not dare to leave my apartment. You see, I am not one of those Americans who, when in France, marches around shouting commands in English at waiters and counterpersons. I am the sort of American who scuttles from doorway to doorway in terror of any situation that might compel me to blushingly stammer "Je ne parle pas français."
Appalled frustration at one's Frenchlessness is common, I imagine, among non-francophone visitors to these shores, but for those of us who work with language for a living, the pain is especially acute—the agony of writer's block gone metastatic, infecting such simple acts as the purchase of a loaf of bread. And yet, I think that there is moral value in supposing oneself to be inferior to all local citizens, and most local dogs, who at least have an intuitive grasp of the imperative mood. But, to my mixed relief, the terror is beginning to subside. I venture out a little more these days and hunch at my desk a little less. I have managed a few simple transactions in your elegant tongue. You may have heard me in the Picard, bragging extensively about having brought my own grocery bag. I do miss those September days when a trip to the supermarket felt like a dangerous adventure, but the language I hear daily on the street remains a form of magic. I am astonished, for example, that a four year-old, overheard gibbering numbers to his mother in the park, knows that "ninety-seven" is four times twenty, plus seventeen.
And, mercifully, mine is a remediable form of aphasia. Three times a week I haul myself into Paris for French class. The class would be a heartening sight to the founders of the United Nations. We are a human muesli of Iranians, Brits, Turkmen, Turks, Thais, Koreans, Germans, Brazilians, Chinese, Mongolians, Americans, etc. Listening to this tribe attempting to unite in the proper pronunciation of "fruits" is worth price of admission. The effect is of fourteen people simultaneously struck on the tonsils by gnats. Our conversations are weird and mysterious. Here are a few enigmatic remarks I jotted down during our sessions last week:
"In Germany, the head of a priest is a very good thing to eat."
"What is this sport in the park where you throw little pigs?"
"I am boring and I want to drink a red bath."
Listen to enough of this kind of talk, and your grasp on reality begins to slip. This past weekend, some French friends, worried about my state of mind, invited me to take a couple of days away from work and study to go cycling along the Loire. We set off from Tours on a Saturday morning. The off-season bikeway was empty of tourists and insects, save a lonely autumn gnat who, seeking company, flew into my throat. For this, I was grateful. I spent a proud interval pedaling along, pronouncing "fruits" perfectly.
The weather on the Loire was the opposite of a miracle. We arrived by in Tours under skies of flawless blue, but soon after we were asaddle, the heavens opened and a storm cloud followed us like a spotlight all the way to Chaumont-sur-Loire. As a joke, I think, my friends had told me not to bring a raincoat; one would be provided for me. What was provided was a ladies' coat, pink in color and of a shapely cut. They also told me to bring only one pair of trousers, another joke. My jeans were soaked through in the first ten minutes of our tour.
Fearful though I am of breaching French sumptuary laws, on the second day, I had no choice but to ride in my pajamas. They are a very bright blue and they paired daringly with the pink raincoat. Several riverside fishermen gave me a startled look, as though a bearded flamingo had fetched up on the end of their lines. My friends laughed and, in speaking to the fishermen, taught me some new vocabulary. I do not quite grasp the meaning, but I believe "Il n'est pas sortable" are the words they said.
Chronique 3 - VF
Tous les deux ou trois ans, un écrivain américain spécialisé dans les arts de la table se rend en France, y remarque le nombre comparativement peu important d’obèses, et publie un livre de régime qui préconise l’usage de fromage, saucisson, pain, pâtisserie et vin au litre comme goûteuse alternative à l’intervention chirurgicale et à l’anneau gastrique. Ces livres font de très fortes ventes pendant deux ou trois mois, à la suite de quoi les lecteurs découvrent ce qu’ils savaient déjà : l’éclair n’est pas une vitamine. Ici, alors que j’entame ma treizième semaine de séjour vincennois, je me dois me colleter avec cette dure réalité. Il y a peu, un matin, au sortir de la douche, l’homme qui me contemplait avec humeur dans le miroir avait l’air enceint de quatre mois. J’ai de la cellulite jusque sur les joues. J’ai même le rebord des oreilles qui paraît trembloter quand je marche.
Si j’étais chez moi, aux Etats Unis, une petite voix dans ma tête me harcèlerait jusqu’à ce que je me mette à l’exercice physique, ou à tout le moins, insisterait pour que je tartine moins de foie gras sur mes croissants. Mais ces jours-ci, sur les conseils de mon professeur de langue, j’essaie très fort de faire en sorte que mon monologue intérieur ait le français pour langue officielle. Fort heureusement, cela limite la complexité de ma réflexion à « j’aime le chocolat ! » et « les huitres sont délicieuses ! » Décrire la ressemblance croissante entre mon ventre et un collant fourré de cinquante kilos de lentilles sur toute sa longueur dépasse heureusement mes connaissances. Aussi, par la grâce du marché de Vincennes et de ma propre ignorance, ma consommation reste en pleine forme. Il se trouve en effet qu’une fourchette à fromage est un excellent outil pour ajouter des trous à une ceinture.
La semaine dernière, j’ai quitté la table un ou deux matins pour rendre visite à des établissements scolaires locaux. J’étais invité par des professeurs qui devaient penser qu’ils n’arrivaient qu’imparfaitement à déconcerter leurs élèves, et avaient donc fait venir un écrivain américain pour abasourdir les enfants d’abstractions littéraires vaseuses. Pour l’essentiel, j’ai exhorté les élèves à passer plus de temps à lire le dictionnaire. L’idée que j’essayais de faire passer n’est pas nouvelle et est peut-être fausse : à savoir que celui qui connaît trois cents mots pour décrire des nuances de rouge a plus de plaisir à admirer un coucher de soleil que celui qui ne sait dire que « jour » et « nuit ». Dans un sens, je suppose que je suis d’accord avec l’idée que puisque nous pensons en mots, plus nous en connaissons plus notre compréhension du monde s’en trouve complexe et émerveillée.
Mais, soyons honnête, ma maladroite tentative d’apprentissage du français offre la preuve du contraire : les gens qui connaissent moins de mots sont peut-être plus heureux que ceux qui connaissent cinquante adjectifs pour décrire l’odeur du lait ribot ou leur propre obésité naissante. Le cerveau énorme d’homo sapiens est formidable quand il s’agit d’inventer des choses telles que les vaccins, le chocolat ou l’uranium enrichi, mais je crois que notre intelligence ne nous aide guère dans le domaine du simple bonheur. Mais pour ce qui me concerne, utiliser ma connaissance limitée du français est un exercice aussi euphorisant et stupéfiant que de descendre quatre martinis. Le désespoir ne saurait envahir un homme dont le récit de la journée ne dépasse pas « café, pain, crêpe, fromage, sommeil. »
L’absence de langage est un anesthésiant contre les douleurs de l’esprit aussi bien que celles du corps. Hier, par exemple, j’ai vécu l’expérience suivante : je me promenais dans le bois de Vincennes quand j’ai soudain ressenti une vive douleur dans ma plante de pied. Appuyé contre un platane, je m’aperçus qu’une écharde de bois avait traversé la semelle de ma chaussure et m’avait percé la peau. Quelques promeneurs m’avisaient d’un air narquois. Dans mon pays d’origine, j’aurais sauté sur l’occasion, aurais fait un peu de cinéma, aurait poussé force plaintes à base de tétanos et du fait que ma plus belle paire de chaussettes était fichue. Mais comme je ne savais pas comment dire « écharde », « blessure superficielle » ni même « aïe ! » il n’y avait rien d’autre à faire que de rentrer chez moi en claudiquant, la tête vide et l’esprit content.
Chronique 3 - VO
Every few years, some American food writer pays a visit to France, takes note of this nation's comparative shortage of obese people, and publishes a diet manual prescribing cheese, sausage, bread, pastries and wine by the gallon as a toothsome alternative to lap-band surgery. These books sell very well for two or three months, at which point readers discover with what they already knew: an éclair is not a vitamin. Here, in week thirteen of my stay in Vincennes, I am coming to grips with this painful truth. Stepping from the shower on a recent morning, the man sulking at me in the mirror looked four months pregnant. I'm getting cellulite on my face. Even the rims of my ears seem to jiggle when I walk.
If I were home in the United States, the voices inside my head would harass me into exercising, or at least insist that I put less foie gras on my croissants. But these days, on the advice of my language teacher, I am trying very hard to make French the official language of my own inner monologue. Happily, this limits me to reflections no more complex than, "I like chocolate!" and "Oysters are delicious!" To describe the mounting resemblance between my belly and fifty kilos of lentils stuffed into a length of pantyhose is, happily, beyond the level of my learning. So, by the grace of the Vincennes market and my own ignorance, my intake remains healthy. A cheese fork, as it turns out, is an excellent tool for adding holes to one's belt.
Last week, I pushed back from the table for a couple of mornings to pay visits to some local schools. I was invited by teachers who seemed to feel that they were doing an inadequate job of bewildering their students, so they called in an American writer to baffle the children with gassy literary abstractions. Mainly, I nagged the students to spend more time reading the dictionary. The point I was trying to make was a standard and maybe faulty one: that someone who knows three hundred words for different shades of red has a better time watching a sunset than someone who knows only "day" and "night." On the one hand, I suppose I stand by the notion that, because we think in language, the more language we have the more intricate, and more ecstatic, our understanding of the world.
But, to be honest, my fumbling attempt to learn French offers evidence to the contrary: that people with less language may be happier than those who have fifty adjectives to describe the scent of sour milk, or his own burgeoning obesity. Homo sapiens' enormous brains are great for inventing things like vaccines and chocolate and enriched uranium, but I think our intelligence may not help us all that much in the department of simple joy. But for me, to be limiting my cognition to French is as euphoric and stupefying an exercise as knocking back four martinis. Despair cannot infect a man whose account of his day does not transcend "coffee, bread, walk, crepe, cheese, sleep."
Languagelessness is an anesthetic against pains both of the spirit as well as the body. Yesterday, for example, I had the following experience: I was strolling in the Bois de Vincennes when I felt an acute pain in the ball of my foot. Leaning against a sycamore tree, I saw that a wood screw had gone through the sole of my shoe and pierced my flesh. A couple of citizens looked at me with quizzical expressions. In my native land, I would have used this opportunity for a bit of a performance. I probably would have wailed and fussed about tetanus and the spoilage of my best pair of socks. But lacking the language for "wood screw," "flesh wound," or even "ouch," there was nothing to be done but limp home with a merry, empty head.
Chronique 4 - VF
Les pluies d’automne ont passé, cédant les après-midis à des hordes d’enfants qui se tamponnent allègrement sur la patinoire . Le long de la rue de Fontenay, impossible d’échapper aux senteurs d’aiguilles de pin et de vin chaud. De retour du métro, tard le soir, même celui qui est résolu à haïr la période des fêtes se sent obscurément ému par les illuminations de Noël reflétées dans les rues désertes. Le moment où Vincennes est la plus adorable, voilà un temps qui en vaut un autre pour s’esquiver de la fête et repartir furtivement aux Etats-Unis.
Ces mois, d’exception et de persévérance, pendant lesquels je n’ai rien fait d’autre que m’efforcer de manier la langue –la mienne à mon bureau, la vôtre (mal) dans la rue – vont se conclure par un retour dans ma maison négligée des bois de Caroline du Nord. Il y a des gouttières à curer, des échelles d’où tomber, des bûches à couper et à empiler et un petit chien grognon, hérissé de ressentiments accumulés depuis septembre avec lequel il faudra faire la paix. Ce sera sans doute une consolation de pouvoir à nouveau parler aux serveurs sans bafouiller et sans rougir, et pourtant je crains que le retour ne soit difficile. Je me suis pris à aimer avoir l’Océan Atlantique entre moi et mon incompréhensible patrie, dont les pires appréhensions nationales sont qu’un jour ses citoyens puissent bénéficier de la sécurité sociale, ou puissent perdre le droit de posséder des bazookas et d’en faire usage. Ma foi, on n’y peut rien. Le billet d’avion est acheté, et je suppose que ce sera bon pour moi de quitter cette vie choyée. Un américain qui vit à côté d’un vrai château et qui mange tous les jours du pain et du fromage qu’on n’achète pas emballés dans de la cellophane industrielle ne tarde pas à perdre le sens de qui il est.
Et donc, il faut commencer ce processus qui consiste à bourrer quatre mois d’existence dans deux valises. Les placards se vident et se résument à quelques cintres vides qui s’entrechoquent en jouant un carillon. Les piles de livres – mes principaux compagnons ici –rapetissent, puis disparaissent. Les preuves matérielles de cette belle idylle se réduisent à quelques trombones égarés et quelques tickets de métro usagés éparpillés par terre. Une nouvelle année se précipite vers nous, et il faut y faire face avec courage, bien que cette histoire de valises m’éveille à la douleur du temps révolu. Deux mille cinq cent quarante, voici le nombre d’heures que j’aurai passées ici et soixante-dix sept mille, le nombre de mots que j’ai écrits dans cet appartement confortable de la rue de la Jarry. Cela me semble à la fois un nombre extraordinaire et –au regard de la destruction qui attend la plupart d’entre eux au moment de la relecture - dérisoire.
La poignée de mots français que j’ai accumulés pendant mon séjour compte peut-être davantage pour moi. Il n’y en a sans doute guère plus que quelques petits milliers, quantité insuffisante pour avoir une conversation suivie avec un petit enfant ou d’ailleurs avec un cocker mais tout juste acceptable pour me permettre de déchiffrer avec hésitation les textes les plus simples de Maupassant, Zola et Camus. Je lis le français aussi facilement qu’on nagerait revêtu de pied en cap d’une armure, et pourtant je ne peux y résister. Cela renouvelle en moi le plaisir subversif de l’enfant qui s’émerveille que des signes noirs sur du papier aient le pouvoir de nous transporter dans des mondes dont nos parents – ou notre incapacité à prononcer le « r » français - nous auraient sinon interdit l’accès.
Je vais emporter un tas de livres de poche aux Etats-Unis, mais je trace la limite au béret et au tricot à rayures breton. Je ferai de mon mieux pour éviter de glisser des expressions françaises dans la conversation, ou de me plaindre à haute voix de ce que notre bibliothèque ou notre marché souffrent de la comparaison avec ceux de Vincennes. Peu de choses sont plus agaçantes que ces américains qui transforment la France en royaume imaginaire où tout le monde s’intéresse à la nourriture et à la culture et où personne n’est ni borné ni trop gros. Mais je tiens à dire que le fait même de ma résidence continue de me surprendre. Que Vincennes et le Festival America aient jugé bon de faire venir un écrivain américain inconnu dans cette ville et de le soutenir dans son travail et dans sa consommation de fromage, me semble être la marque d’un endroit civilisé et généreux. Ma mélancolie d’avoir dû partir s’estompera vite, mais ma reconnaissance durera longtemps.
Chronique 4 - VO
The autumn rains have retreated, ceding the afternoons to the hordes of unsteady children, happily colliding on the patinoire. Along the Rue de Fontenay, the fragrances of pine cuttings and vin chaud are impossible to escape. Walking from the metro late in the evening, even one who is determined to loathe the holiday season finds himself obscurely stirred by the Christmas lights reflected on the empty streets. With Vincennes at a maximum of adorableness, now seems as good a time as any to duck out of the party and slink back to the United States.
These rarefied, sedulous, months during which I have done nothing but strive to wield language—mine at the desk, yours (badly) on the street—will conclude with a return to my neglected home in the North Carolina woods. There are gutters to clean and ladders to fall off of, firewood to split and stack, and a small, scabrous dog, brimming with resentments hoarded since September, who will have to be appeased. It will be a comfort, I suppose, to once again speak to waiters without stammering and blushing, though I'm afraid it may be a difficult return. I've grown to like having the Atlantic Ocean between myself and my baffling homeland, whose greatest national terrors are that our citizens may someday be able to afford health insurance or lose the right to own and operate bazookas. Well, it can't be helped. The plane ticket's been bought, and I suppose it will be good for me for me to leave this cosseted life behind. An American who lives in proximity to an actual castle and who daily eats bread and cheese that does not come wrapped in factory cellophane soon loses his sense of himself.
So begins the process of stuffing four months of existence into two suitcases. The closets empty out to a few bare, chiming hangers. The stacks of books—my chief form of company here—shrink, then vanish. The material evidence of this pleasant idyll winnows to a few stray paperclips and used metro tickets scattered on the floor. Another year rushes toward us, and we must face it bravely, though this business with the suitcases does make one more alert to the ache of lost time. Two thousand, five hundred and forty-four is the number of hours I have passed here. Seventy-seven thousand is the number of words I have written in this comfortable apartment on Rue de la Jarry. This seems to me both an extraordinary number, and—in view of the destruction most of these words await in revision—not very much at all.
Perhaps more valuable to me are the handful of French words I've accumulated during my stay. These probably number in the low thousands, an inadequate quantity to carry on a conversation with a toddler or a cocker spaniel but just barely enough to bear me haltingly, decipheringly, through the simpler stuff of Maupassant, Zola, and Camus. I read French about like a man in a suit of armor swims, yet I find it irresistible. It renews for me the child's subversive wonder that black marks on paper can carry us into worlds that our parents, or our failure to pronounce the French "R," would have otherwise prevented us from entering.
I will carry lots of French paperbacks with me to the States, though I will hold the line at berets and shirts with Breton stripes. I will do my best to resist slipping French phrases into my conversation, or complaining aloud about how poorly our library or market stacks up against the one in Vincennes. Few things are as annoying as Americans who make France into a fantasyland where everyone cares about food and culture and no one is dull or overweight. But I will say that the fact of my residency here continues to astonish me. That Vincennes and the Festival America should have seen fit to bring an unknown American writer to this city, to support him in his work and cheese consumption, seems to me the mark of a civilized and generous place. My glumness at leaving will soon ease, but my gratitude will last a good while.